L’été, c’est souvent le moment où l’on prend le plus le temps de lire – parce que l’on en a enfin pour soi pardi ! – et c’est fou comme je me rappelle bien des livres que j’ai lu à cette période de l’année. Chaque fois, ils m’ont vraiment transportés, sans doute aussi parce que j’en lisais les pages pendant plusieurs heures et qu’il n’y a que comme ça que l’on entre véritablement dans une histoire, que l’on s’imprègne d’une écriture, d’un style et qu’une fois le livre terminé, on se sent un peu changé.
Il y a eu L’Insoutenable légèreté de l’être de Milan Kundera en 2005 ainsi que Lolita de Vladimir Nabokok ; Madame Bovary de Gustave Flaubert et Risibles Amours de Milan Kundera (j’étais une grande adepte de ses livres lorsque j’étais plus jeune, je les ai à peu près tous lus) en 2006. Puis plus tard, Le Liseur de Bernard Schlink, La fenêtre panoramique de Richard Yates (ok, c’était parce que j’avais aimé les films), Le K de Dino Buzzati et j’avoue que j’ai oublié les autres (pas si marquants que ça finalement hein ?).
Evidemment, il n’y a pas que l’été qui est synonyme de lectures marquantes. En octobre 2007 et septembre 2008 (je le sais parce que j’ai la petite manie de toujours écrire sur le livre que je débute la date à laquelle je tourne la première page), j’ai découvert et dévoré deux livres de l’auteure biélorusse, Svetlana Alexievitch. Son truc à elle ? Recueillir des témoignages authentiques sur des sujets très sensibles : la catastrophe de Tchernobyl, les femmes russes pendant la Seconde Guerre mondiale, les soviétiques ayant participé à la guerre russo-afghane et les suicides de citoyens russes après la chute du communisme.
J’ai dû lire La supplication, Tchernobyl, Chronique du monde après l’apocalypse et La guerre n’a pas un visage de femme pour deux cours que j’ai suivis pendant ma licence de Lettres modernes. J’adorais la prof qui les animait. Très indépendante, féministe, un peu coincée dans son mode de pensée mais terriblement passionnée. Je crois que de mes trois années, ses cours ont été mes préférés (d’ailleurs, on se bousculait pour s’y inscrire – coucou madame Brodziak). Toujours est-il que ces deux livres m’ont particulièrement marquée, que je voulais vous en parler depuis un moment et quoi de mieux qu’un mois d’août au calme pour entamer une nouvelle lecture ? ;)
Avant toute chose, sachez que ce ne sont pas des lectures faciles. Pas dans le sens où elles ne sont pas abordables – ce sont des témoignages légèrement remaniés, c’est tout, l’auteure n’est nulle part, les narrateurs sont multiples – mais plutôt dans le sens où elles vous font un peu mal au ventre et même parfois pleurer. Alors évidemment, l’été on a envie de légèreté mais sincèrement, je vous les recommande 2000 fois ! Je parle assez peu de mes lectures ici (personne ne le fait mieux que Juliette n’est-ce pas ?) mais j’ai envie de prendre le temps de le faire cette fois.
Commençons par La supplication. Dans ce livre, vous trouverez des centaines de récits de gens qui ont vécu la catastrophe de Tchernobyl de près ou d’un peu moins près. Les points de vus sont toujours très différents : les soldats et les pompiers envoyés à la centrale nucléaire sans protection ou presque, leurs femmes, des villageois obligés de quitter leur maison du jour au lendemain et observant les soldats enterrés leurs objets et mêmes leurs animaux de compagnie vivants, etc. Terrible, émouvant, poignant, dur sont autant d’adjectifs qui peuvent qualifier les témoignages recueillis. D’ailleurs, je préfère vous citer quelques passages du livre pour que vous vous fassiez une meilleure idée de ce que j’essaie de vous dire.
Le prologue donne le ton. Un couple de jeunes mariés : « Je lui disais « Je t’aime ». Mais je ne savais pas encore à quel point je l’aimais… Je n’avais pas idée… ». Lui est pompier et on l’a envoyé à la centrale « pour un incendie ordinaire« . Elle est enceinte. On l’appelle pour la prévenir qu’il est à l’hôpital. Elle le suivra jusqu’au bout, le voyant se dégrader physiquement de jour en jour. Elle raconte que lorsqu’elle s’absentait, on en profitait pour photographier son mari : « Et l’on prenait des photos… Ils disaient que c’était pour la science. Mais je les aurais chassés tous ! Je les aurais frappés ! Comment pouvaient-ils ? Tout était à moi… Tout aimé de moi…« .
Ce témoignage est l’un de ceux qui m’a le plus émue. Indubitablement parce que l’on ressent tellement l’amour de cette femme pour son mari : « Quelqu’un m’exhorte : – Vous ne devez pas oublier que ce n’est plus votre mari, l’homme aimé, qui se trouve devant vous, mais un objet radioactif avec un fort coefficient de contamination. Vous n’êtes pas suicidaire. Prenez-vous en main ! Et moi, comme une folle : – Je l’aime ! Je l’aime ! Pendant son sommeil, je chuchotais : Je t’aime ! […] Je me souvenais de notre vie, avant… Dans notre foyer… Il s’endormait seulement quand il prenait ma main. Il avait cette habitude : me tenir la main la nuit… Toute la nuit…« .
Et puis, il y a la mort de son bien-aimé, puis quelques temps après, celle de la petite fille qu’elle portait. Plus tard, elle a rencontré un autre homme avec lequel elle a eu un petit garçon. « Maintenant, j’ai quelqu’un pour qui vivre et respirer » dit-elle. Avant d’arriver à la fin de ce prologue, j’avais la gorge tellement serré en me disant que c’était bien réel, que ce que je m’apprêtais à lire n’était pas un roman. Vous pourriez penser qu’il n’y a que du terrible dans ce livre mais les dernières phrases du prologue sont à l’image de tout le reste : « Ils meurent, mais personne ne les a véritablement interrogés sur ce que nous avons vécu… Les gens n’ont pas envie d’entendre parler de la mort. De l’horrible… Mais moi, je vous ai parlé d’amour… De comment j’aimais.«
En lisant La Supplication, vous lirez aussi des récits d’amour. De l’amour d’une femme pour son mari, d’un paysan pour sa terre, d’une grand-mère pour ses chats, d’un peuple pour leur pays. Vous lirez que les gens n’avaient pas peur, que lors de l’explosion, ils sont tous sortis sur leurs balcons pour regarder la jolie poussière dans le ciel et puis après, quand on a voulu les déloger, certains on fait de la résistance : « Mais de quelle radiation parlez-vous, alors que les papillons volent et les abeilles bourdonnent ? Et que mon Vaska attrape des souris ?« . Ceux-là, en ville, étaient traités comme des pestiférés. Tout le quotidien était bouleversé.
Même si on le savait, on découvre comment les gens ont été manipulés, comment on leur a menti au sujet de la catastrophe et de ses impacts. Surtout à ceux qui allaient à la centrale. On leur dissimulait les doses de radiation qu’ils recevaient – elles restaient « strictement confidentielles » – , on ne leur donnait que peu de protections mais on savait leur refiler de la vodka. Il ne fallait pas qu’ils posent trop de questions : « Le capitaine nous a rassurés : « La catastrophe a eu lieu il y a trois mois. Maintenant, il n’y a plus de danger ». Le sergent nous a dit : « Tout va bien, lavez-vous simplement les mains avant de manger ».
Je pourrais vous citer d’autres passages qui m’ont touchée mais on va s’arrêter là – au risque de vous recopier tout le livre. Je vous invite vraiment, vraiment, vraiment à le lire, un jour. Pour tout ce qu’il raconte sur les relations humaines, sur l’histoire d’un peuple, sur l’histoire d’une catastrophe à propos de laquelle on nous a beaucoup menti et qui nourrit bien des fantasmes.
Avant la fin du mois, je vous parlerai d’un autre livre de Svetlana Alexievitch que j’avais lu et étudié lorsque j’étais en Licence : La guerre n’a pas un visage de femme. Vous verrez qu’il est tout aussi touchant et qu’il soulève bien des questions autour du féminin.
Bon dimanche à toutes :)
juliette
Oh la la, ça a l’air hyper dur et poignant, je ne sais pas si j’ai suffisamment le moral pour lire un livre comme ça en ce moment ! En même temps, c’est important de savoir, et ça doit permettre de relativiser pas mal de choses. Dans tes lectures cultes, je n’ai lu que Lolita (que j’ai beaucoup aimé), je me sens un peu inculte, il va falloir que j’y remédie !
Olivier
un peu de lecture ne va pas me faire de mal ! bonnes vacances !
lisa
Tu m’as donné envie de le lire, moi qui lit peu mais qui aimerait tellement prendre le temps ! merci
Silvia
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